La damnation de l’Essen

La damnation de l’Essen

― Ah ! ah ! Vraiment ! Un naufrage ? On vous a dit que j’avais fait naufrage ? Une aventure étonnante ? Vraiment ! Vraiment ! Et vous voudriez que je vous raconte ce naufrage-là, bien gentiment, comme ça, après dîner, en dégustant cette remarquable fine Louis-Philippe ?…

Non ? Alors, dites, c’est pour ça que vous m’avez fait boire ? Ce Negresco, ce festin, ce Pommery, ce jazz, cette remarquable fine Louis-Philippe, — c’est pour ça ?… Les cinquante louis d’hier au soir, c’était pour ça ?…

Et qui est-ce qui vous a dit… ? Cerneuil, n’est-ce pas ?… J’aurais dû me méfier. Si j’avais encore les cinquante louis, je vous les rendrais ; mais voilà, je suis rentré ce matin, de Monte-Carlo, nettoyé, cher ami…

Oh ! je sens bien que je raconterai. Je raconterai parce que je suis votre débiteur et parce que vous m’inspirez confiance…

[…]

Vous souvenez-vous de l’Essen ? (Je vous parle du temps de la guerre.)

L’Essen, voyons, ce croiseur de la marine allemande, commandant Rückherdt ? L’imprenable Es-sen qui coula tant de cargaisons et supprima des milliers de vies humaines ?… Bon. Vous rappelez-vous la fin du corsaire, — la fin officielle, la fin historique ? Elle est simple. Il disparut. Un jour, le monde horrifié apprit, coup sur coup, que l’Essen avait envoyé par le fond le navire-hôpital Princess Maud et le paquebot américain Mauritania (ce qui, vous le savez, décida l’intervention des États-Unis). Mais ce furent les derniers exploits du croiseur. Il ne revint jamais. Les postes allemands de télégraphie sans fil lancèrent des appels ininterrompus ; personne ne leur répondit. Pourtant la mer était calme et nul capitaine ne se vanta d’avoir fait justice du commandant Rückherdt et de son équipage. L’Allemagne prit le deuil. Un soulagement se fit sentir du côté des Alliés. L’Essen n’était pas le premier bâtiment qui cessât de faire parler de lui. On n’en parla plus, et ce fut tout. Ainsi vont les choses en temps de guerre.

Mais, peu à peu, naquit dans les cervelles cette croyance merveilleuse qu’on nomme une légende…

éditions opoto, mai 2015, ISBN : 978-2-919752-31-7

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